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Chronique dune pauvreté ordinaire
Chronique d’une pauvreté ordinaire
Le témoignage que je vais apporter est le quotidien de beaucoup de femmes dans ma situation : elles travaillent, de façon plus ou moins précaire, et élèvent seules leurs enfants. Elles tiennent tout à bout de bras.
Il arrive parfois qu’un événement imprévu, viennent mettre leur budget à flux tendu en péril, et depuis quelques mois, la seule hausse des produits alimentaires de première nécessité est venue instaurer un déséquilibre structurel aux déséquilibres conjoncturels.
Ces femmes se connaissent entre elles, la vie les fait se rencontrer dans les files d’attente des associations d’aide alimentaire.
Mais le parcours en amont est difficile, malgré l’urgence de nourrir vos enfants, il vous faudra attendre, lorsque vous aurez trouvé le courage de franchir le pas, un rendez-vous avec l’assistante sociale du secteur.
Il vous faudra ensuite prouver votre situation, le dossier doit être complet, l’obtention d’un jugement prouvant votre situation matrimoniale prend facilement deux ans (si vous déménagez entre temps, cela compliquera l’affaire), ce qui ne vous permet même pas d’être dans une situation précaire « stable » si l’on peut l’exprimer ainsi, ce qui vous contraint à re-justifier votre situation à chaque étape administrative .
Il vous faut également attendre la défaillance de trois mois consécutifs du père pour saisir le service contentieux de la CAF qui mettra un certain temps à statuer sur votre sort pour ouvrir vos droits « définitifs ».
Le dossier constitué vous permet enfin de vous faire délivrer un sésame qui vous permettra d’obtenir des tickets payants de un à trois euros par personne pour une visite hebdomadaire au local qui distribue l’aide alimentaire.
Seul le fait de ne pas parler la langue vous dispense d’effectuer ce parcours du combattant.
Le local est souvent un hangar excentré, il vous faut un moyen de locomotion pour vous y rendre, et certaines familles font des dizaines de kilomètres pour venir.
La distribution de tickets de files d’attente commence à 18 heures, un jour de semaine. Certaines familles de nomades sont là bien avant, elles n’ont pas les mêmes soucis que nous. Nul besoin d’aller chercher leurs enfants à l’école par exemple, ce sont d’ailleurs leurs enfants qui font la queue, tandis que les adultes attendent au chaud en regardant la télévision dans leurs caravanes garées devant le hangar.
Les femmes ayant une vie « normale », ne peuvent, elles, arriver qu’après leur travail et après avoir récupéré leurs enfants. Vous attendez donc une heure au froid avec vos mômes à la main. Il fait noir l’hiver à cette heure-là et le parking où défilent les voitures n’est pas éclairé, il est donc dangereux de ne pas tenir ses petits.
Une fois les tickets d’ordre de passage distribués, l’équipe met en place le matériel et les provisions, les familles attendent alors avec un café chaud à l’intérieur du hangar, les mamans font faire les devoirs et des coloriages.
Cela prend près d’une heure pour la mise en place. La distribution commence alors; le temps que les familles nomades soient servies, il est déjà 20H 40, et quand le tour des femmes comme moi arrive, il ne reste déjà plus rien des quelques denrées de légumes frais.
Pour une famille de cinq, on vous donne une micro boîte de conserve. Puis de grosses quantités de viande en limite de péremption mais mangeable tout-de-même pour peu que vos enfants ne fassent pas des leurs car les morceaux sont pleins d’épices forts. De même, on vous sert beaucoup de desserts périmés mais on peut les consommer une semaine après la date de péremption, là encore, très peu de choix pour les gosses quand le goût café n’est pas leur fort. Quand il en reste, on vous sert un fruit pourri par personne et par semaine, et, parfois… quelques fleurs.
On ressort donc à 21 heures, fatigué, et il faut encore ensuite rentrer chez soi et faire le repas. Il n’y a jamais eu de féculents, ni d’huile végétale, parfois une plaquette de beurre. Il vous faudra donc faire des courses quoi qu’il arrive.
L’offre d’aide alimentaire est valable deux mois, à renouveler si nécessaire.
Mais au final, si on fait ses comptes, pour huit euros de participation par semaine pour une famille de cinq, mieux vaut peut-être encore rester au chaud à la maison, quand on en a une, et manger des pâtes tout l’hiver, plutôt que d’imposer à ses enfants et à soi-même, des moments pénibles pour pas grand chose.
Au passage, les femmes que j’ai rencontrées, sont pour la grande majorité, des femmes comme tout le monde, qui ont fait des études, et qui n’ont pas lâché prise. Celles qui ont sombré ne viennent pas à l’aide alimentaire, leurs enfants sont pris en charge par les PMI (Protection maternelle et infantile) et elles-mêmes sont en foyer.
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